Lost Films : Marc Olry, artisan distributeur
Marc Olry est l’homme-orchestre de Lost Films. Comme l’indique le nom de sa société de distribution, il s’est spécialisé dans le cinéma de patrimoine, à la recherche de films perdus
Le jour où je l’ai rencontré à Paris, Marc Olry était entre deux projets, un qui avait à voir avec le passé, l’autre avec l’avenir. Mais avant de détailler son emploi du temps chargé, mieux vaut faire un retour sur la double vie de cet homme, partagé en permanence entre deux professions et deux films.
« IL N’Y A PAS DE RECETTE ! »
Marc Olry : « Il n’y a pas de recette. Un classique vu et revu, très accessible à la télé ou en vidéo, peut quand même marcher en salle, tout comme un film très pointu, inaccessible, trouve parfois aussi son public. »
« WE BLEW IT », LE FILM DU DÉSENCHANTEMENT (cliquer)
2017, pour les éditions Lost Films, c’est l’année We Blew it, un film tourné en 2016, un « film frais » comme on dit dans la profession, mais pas si éloigné du cinéma de patrimoine…
Marc Olry : « We Blew it – qu’on pourrait traduire par “On a tout foutu en l’air” –, c’est la phrase que prononce Peter Fonda dans le film Easy Rider quand Denis Hopper se réjouit du coup qu’ils viennent de faire ensemble, qui va leur permettre de se mettre au vert avec beaucoup d’argent.
Le réalisateur Jean-Baptiste Thoret interroge des cinéastes américains – Jerry Schatzberg, Bob Rafelson, Michael Mann, Peter Bogdanovich, Paul Schrader, Tobe Hooper, Jeff Lieberman, James Toback… – sur leurs parcours, leur métier, leurs envies. Tous éprouvent une certaine nostalgie pour les années 1970, la période de la contre-culture américaine au cours de laquelle ils ont émergé. Une nostalgie d’autant plus forte que le film a été tourné en août-septembre de l’année dernière, en pleine campagne des présidentielles, quelques mois avant l’élection de Donald Trump.
Le film raconte tout ça, la manière dont l’Amérique est passée d’une révolution culturelle qui a pratiquement touché le monde entier, avec le mouvement hippie, Woodstock et le Nouvel Hollywood, à une période de repli dominée par un véritable désenchantement. »
Matin, midi et soir
Technicien du cinéma, intermittent du spectacle, il exerce aujourd’hui le métier d’accessoiriste. Parallèlement, et depuis 2009, il est le fondateur, dirigeant et unique employé de la société de distribution Lost Films, spécialisée dans le cinéma de patrimoine (voir la vidéo ci-dessus).
Ce samedi-là, il présentait la reprise de La Fille de Ryan au Reflet Médicis, travaillait à la sortie de We Blew it, sa nouvelle sortie pour 2017, et se préparait à participer au tournage d’Amin, le prochain film de Philippe Faucon ! Sa recette pour mener toutes ces activités de front donne une idée de la longueur de ses journées : « Quand je suis en tournage, je suis distributeur en dehors du tournage, le soir, le matin, à la coupure déjeuner. »
« Pour faire exister ces films de patrimoine, je fais le même travail de mise en valeur que je ferais pour un film nouveau. »
Une sortie de film, c’est beaucoup d’investissements personnel – six mois de travail environ – et financier. Avant les premières séances et les premières recettes, les dépenses s’accumulent : 15 000 à 20 000 € de frais (réalisation des copies, sous-titrage, impression des affiches, promotion…), sans compter l’achat des droits pour une durée limitée, généralement de trois à cinq ans. « Il y a toujours un moment où je dois avancer beaucoup d’argent et c’est là que le système d’aide du Centre national du cinéma m’apporte une vraie bouffée d’oxygène. Une commission se réunit et, en fonction de la qualité du film et du travail d’accompagnement, se prononce sur l’opportunité d’aider le distributeur, une enveloppe qui peut aller jusqu’à 50 % des frais de sortie. »
Un engagement total
Pour Marc Olry, La Fille de Ryan appartient désormais au passé. Il a décidé de l’accompagner sur les écrans avant d’en perdre les droits après plus de trois années d’exploitation : « Ce film correspondait tout à fait à l’idée de ce que j’avais envie de faire, remettre en lumière une œuvre un peu à part dans la filmographie de David Lean, presque maudite. » Exhumer un film, lui donner une deuxième chance de trouver un public, l’accompagner en salles… L’engagement est total, c’est le travail d’un cinéphile militant.
Pour quelqu’un qui se définit comme « le premier fan » du film qu’il choisit de distribuer, il est toujours difficile de l’abandonner : « Ce qui m’arrive aujourd’hui avec La Fille de Ryan, c’est un peu l’histoire de tous les distributeurs, qu’on soit spécialisé dans les films de patrimoine ou les films nouveaux. Ce sont des contrats sur une durée déterminée, sur des supports déterminés, sur un territoire déterminé. Je dis toujours qu’on choisit un film parce qu’on l’aime et c’est toujours un déchirement que d’en perdre les droits. »
« La plupart du temps, je n’ai pas à chercher de nouveaux films.
Ils viennent à moi, c’est toujours un hasard heureux. »
Mais la quête continue, non pas sur des bases scientifiques, après analyse d’une étude de marché, plutôt par intuition ou par la grâce des rencontres : « La plupart du temps, je n’ai pas à chercher de nouveaux films. Ils viennent à moi, c’est toujours un hasard heureux. » Le hasard a pour nom Jean-Baptiste Thoret, un critique de cinéma qui a beaucoup écrit sur le road-movie et le Nouvel Hollywood. Pour une fois, il s’agit d’un film « contemporain », We Blew it (voir l’encadré ci-dessus) : « Cette année, je n’avais pas les moyens ni le ressort d’acquérir un nouveau film. Jean-Baptiste m’avait déjà parlé de son projet il y a déjà trois ans. Quand je l’ai découvert, alors qu’il cherchait un distributeur, je me suis dit : “Il faut que je me lance !” C’est ça qui nous fait avancer, montrer un film qui nous plaît à plus de gens possible et de la meilleure façon possible pour qu’il puisse exister. »
Le film de ses rêves
Comme tout cinéphile compulsif, Marc Olry a son arche perdue, sa vallée de Shangri-La, un film de 1964 qu’il tente de distribuer en vain depuis des années, Love with the proper stranger de Robert Mulligan, distribué en France sous le titre Une Certaine rencontre : « C’est un petit bijou, un film totalement invisible. Il n’existe pas de version DVD, dans aucun pays. C’est le seul film qui réunisse deux icônes du cinéma, Steve McQueen et Nathalie Wood. Il est passé quelques fois sur le câble, sur Paramount Channel, mais la qualité de ce matériel télé n’est pas suffisante pour faire une copie suffisamment belle en salle. Je l’ai demandé plusieurs fois à la Paramount, jusqu’à maintenant en vain. J’espère seulement que personne ne le fera à ma place ! ».
LE CATALOGUE COMMENTÉ DE LOST FILMS EN 9 BANDES ANNONCES (cliquer sur les vignettes)
La Mélodie du bonheur
Close encounters with Vilmos Zsigmond
The Rose
Seconds
La Fille de Ryan
Stella femme libre
Comment voler un million de dollars
Du Silence et des ombres
La Rumeur
-
La Mélodie du bonheur
LA MÉLODIE DU BONHEUR (The Sound of music, 1965), un film de Robert Wise, avec Julie Andrews, Christopher Plummer, Eleanor Parker. Date de ressortie en salles : octobre 2016. CURIEUX FILM que cette comédie musicale politico-bucolique sur fond de montée du nazisme au temps de l'Anschluss. La Mélodie du bonheur a toujours suscité des avis diamétralement opposés, avec d'un côté des spectateurs qui se sentent littéralement agressés par ce qu'ils qualifient de monument de niaiserie, et de l'autre, des amateurs inconditionnels. Moi, j'ai choisi mon camp, du côté de Julie Andrews. -
Close encounters with Vilmos Zsigmond
CLOSE ENCOUNTER WITH VILMOS ZSIGMOND (2016), un documentaire de Pierre Filmon. Date de sortie en salles : novembre 2016. QUEL EST LE POINT COMMUN entre « Voyage au bout de l'enfer », « Blow Out », « Délivrance » et « Rencontres du troisième type » ? Vilmos Zsigmond, évidemment, l'un des plus grands chefs opérateurs que le monde du cinéma ait compté. Ce film constitue la première incursion de Marc Olry dans l'univers du film contemporain et du documentaire… même s'il s'agit d'un hommage indirect au cinéma des années 1970 et 1980. -
The Rose
THE ROSE (1979), un film de Mark Rydell, avec Bette Midler, Alan Bates, Harry Dean Stanton. Date de ressortie en salles : juillet 2015. ENCORE UNE COMÉDIE MUSICALE, même si cette fois nous sommes bien éloignés de l'univers pastel de « La Mélodie du bonheur ». Au programme, sex, alcool, drug, death and rock’n’roll pour cette biofilmographie imaginaire de Janis Joplin, du triomphe au crépuscule. -
Seconds
SECONDS (L'Opération diabolique, 1966), un film de John Frankenheimer, avec Rock Hudson. Date de ressortie en salles : juillet 2014. PROTOTYPE PARFAIT DE L'ŒUVRE MAUDITE, ce film avait toutes les qualités requises pour figurer au catalogue de Lost Films. Une critique négative à Cannes en 1966 et un échec commercial cuisant à sa sortie l'ont expédié dans l'anonymat, purgatoire obligatoire pour tous les films cultes. -
La Fille de Ryan
LA FILLE DE RYAN (Ryan's Daughter, 1970), avec Robert Mitchum, Sarah Miles, Christopher Jones, Trevor Howard. Date de ressortie en salles : août 2016. ENCORE UN FILM MAUDIT au catalogue de Lost Films. « La Fille de Ryan » a valu à son metteur en scène 14 années de purgatoire. Il lui faudra en effet attendre 1984 pour tourner « La Route de Indes », son dernier film. -
Stella femme libre
STELLA FEMME LIBRE (1955) de Michael Cacoyannis, avec Mélina Mercouri. Date de ressortie en salles : juillet 2012. FILM MÉCONNU EN FRANCE avant que Marc Olry ne le redécouvre, « Stella » est un film culte en Grèce. C'est aussi le premier rôle de Mélina Mercouri à l'écran. COMMENTAIRE DE MARC OLRY : « Ce film-là, il est venu à moi par hasard parce que j'étais parti en tournage en Grèce faire un film de Brigitte Roüan. “Stella”, c'est un des joyaux de la cinématographie grecque. Quand je l'ai découvert, j'ai vraiment eu envie de le faire partager parce que c'est une femme fatale, comme Ava Gardner était une femme fatale à Hollywood ou Anna Magnani dans un film italien. » -
Comment voler un million de dollars
COMMENT VOLER UN MILLION DE DOLLARS (How to steal a million), William Wyler, 1966, avec Audrey Hepburn, Peter O’Toole, Eli Wallach, Charles Boyer. Date de ressortie en salles : 2011. POUR CE FILM, Audrey Hepburn retrouve le metteur en scène de « Vacances romaines » (1953), le film de ses débuts qui l’avait fait passer instantanément de – relative – inconnue à star hollywoodienne. Curieusement, cette actrice a été trop souvent cantonnée dans des rôles de jeune effrontée tombant amoureuse de partenaires d’âge mûr, voir très mûr… même s’ils avaient pour nom Humphrey Bogart, Garry Cooper, Burt Lancaster, Carry Grant ou Rex Harrison. -
Du Silence et des ombres
DU SILENCE ET DES OMBRES (To kill a Mockingbird), Robert Mulligan, 1962, avec Gregory Peck, Robert Duvall. Marc Olry a ressorti ce film sur les écrans en juillet 2010. LE FILM EST TIRÉ de l’ouvrage de Harper Lee, « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », prix Pulitzer 1961, un livre tiré à plus de 30 millions d’exemplaires. Ce plaidoyer contre le racisme paraît au début des années 1960, en plein mouvement pour les Civil Rights, au moment des rassemblements pacifiques autour de Martin Luther King et des boycots des bus par les Noirs. Gregory Peck a obtenu l’Oscar du meilleur rôle pour son interprétation. Robert Mulligan, le réalisateur un peu tombé dans l’oubli aujourd’hui, a connu de vrais succès publics avec « Un été 42 » (1971) et, dans une moindre mesure, « L’autre » (1972). COMMENTAIRES DE MARC OLRY : « J’avais vraiment été happé par cette histoire de petite fille qui, dans les années 1930, suit son père avocat dans une petite ville américaine des Etats-Unis. Ce film parle de racisme, de bien, de mal, de justice. C’est aussi une histoire forte de rapport père-fille. » -
La Rumeur
LA RUMEUR (The Children's Hour), William Wyler, 1961, avec Audrey Hepburn et Shirley MacLaine. Date de ressortie : 1999. C'EST AVEC CE FILM que Marc Olry est devenu un distributeur indépendant à part entière en 2009. Il ne possède plus désormais les droits d'exploitation de ce titre. Avec cette œuvre méconnue, un des premiers films hollywoodiens à évoquer l'homosexualité féminine, William Wyler offre deux rôles atypiques à ses actrices-stars. COMMENTAIRE DE MARC OLRY : « C'est un film qui existait déjà dans le milieu homosexuel parce que c'est un des premiers où l'on montrait vraiment des femmes lesbiennes – le film n'est pas non plus que ça – alors qu'on avait beaucoup abordé le sujet, frontalement ou indirectement, pour des hommes, pour des relations homosexuelles masculines. C'est devenu ma première sortie, c'est là où j'ai tout appris, à tout faire par moi-même. Le film a vraiment rencontré son public, ça m'a permis de financer le film d'après, “Du Silence et des ombres”. »
La société Lost Films est membre de l’Association des distributeurs de films de patrimoine. Cette structure, créée en 2008, regroupe Carlotta Films, Heliotrope Films, Les Acacias, Les Films de Mon Oncle, Madadayo Films, Malavida, Solaris Distribution, Tamasa Films et Théâtre du Temple.