Le Champo : « Un film, il faut lui laisser sa chance ! »
Véritable institution du Quartier latin, le cinéma Le Champo fêtera ses 80 ans en 2018. Christiane Renavand, qui a succédé à son père à la tête de l’entreprise familiale, est l’âme de ce temple de la cinéphilie
1938-2017 : LE CINÉMA CHAMPOLLION EN ONZE DATES CLÉS
Découvrez les grands moments de l’histoire du Champollion, de la création de la salle jusqu’à aujourd’hui. Onze étapes qui ont forgé l’identité d’un cinéma de patrimoine que Claude Chabrol considérait comme sa deuxième université.
LE PALMARÈS 2016 DE LA FRÉQUENTATION (cliquer)
La fréquentation annuelle du Champo tourne autour de 100 000 spectateurs. Christiane Renavand commente les meilleures entrées de l’année 2016.
LES FILMS À SUCCÈS
Une aussi longue absence, d’Henri Colpi (Palme d’or au festival de Cannes en 1961) : « C’est un film qui a très bien marché, et ça m’a beaucoup étonnée. On devait ne le garder que trois semaines et je l’ai prolongé beaucoup plus longtemps. »
Parmi les films qui ont connu une bonne fréquentation figurent Une anglaise romantique, de Joseph Losey (1975), Mauvais sang, de Leos Carax (1986), Un mari presque fidèle, de Sidney Gilliat (1955).
LES RÉTROSPECTIVES DE L’ANNÉE
Akira Kurosawa : la rétrospective de neuf films a connu un gros succès.
Pedro Almodovar : ses films ont bien marché, comme d’habitude d’ailleurs, tout comme ceux de Julien Duvivier (rétrospective de quatre semaines) et de Marcel Carné (trois semaines).
Jean-Luc Godard : « Godard, encore et toujours. Godard nous amène beaucoup de jeunes. »
Ingmar Bergman : « La rétrospective Bergman a toujours beaucoup de succès. Nous l’avons depuis la fin de 2016 et elle fait encore de très jolies moyennes à la séance de 22 heures. Bergman, c’est vraiment un phénomène ! Il fait à peu près 150 à 200 entrées par semaine à 22 heures, ce qui est vraiment étonnant. Pourtant, c’est une séance très difficile, les gens ne sortent plus le soir. Il y a des films qui font entre deux et huit entrées à cette heure-là ! Maintenant, le quartier est vide, mais il se remplit pour Bergman ! »
INFOS PRATIQUES (cliquer)
LE CHAMPO : 51, rue des Écoles, à l’angle de la rue Champollion, dans le cinquième arrondissement de Paris. Tél. : 01 43 54 51 60. Web et Facebook.
TARIFS : 9 € (tarif plein) et 7 € (tarifs réduits : étudiant, senior, chômeur, RSA, famille nombreuse), sauf samedi, dimanche et jours fériés. Moins de 20 ans et dernière séance du dimanche : 7 €. Séance de midi tous les jours : 6 €. Moins de 14 ans : 4 €. Groupes (minimum 20 personnes, sur réservation) : 4,50 €. Abonnement (valable un an) : 10 places pour 50 €. Les cartes illimitées UGC Le Pass sont acceptées à toutes les séances (sauf les séances exceptionnelles et les Nuits).
ACCÈS : Métro Cluny La Sorbone, Odéon, Saint-Michel. RER B : Saint-Michel ou Luxembourg. Bus : 21 – 24 – 27 – 38 – 39 – 47 – 63 – 70 – 76 – 82 – 85 – 86 – 87 – 96.
INTERVIEW DE CHRISTIANE RENAVAND, DIRECTRICE DU CHAMPO :
« C’EST TRÈS RARE QUE JE PASSE UN FILM QUE JE N’AIME PAS ! »
Vous dirigez le Champo depuis 1980. En trente ans, qu’est-ce qui a changé dans la façon de gérer un cinéma ?
Beaucoup de choses ont changé. Le changement le plus récent, ça a été bien sûr le passage au numérique. Mais avant, il y a eu l’apparition de la concurrence dans la rue Champollion, avec notamment la transformation du théâtre des Noctambules en salle de cinéma en 1956. Malheureusement, tout le monde s’est dit que puisque le Champo marchait, autant faire la même chose.
Dès lors, il y a eu plus de concurrence sur les films eux-mêmes, et ça n’a fait qu’empirer jusqu’à aujourd’hui puisque je dois dire que les films ne travaillent pas énormément. Nous faisons à peu près 2 000 entrées par semaine. Malgré tout, nous nous sommes toujours bien maintenus. J’ai moi-même été étonnée que l’augmentation du nombre de salles [7 au total dans la rue Champollion] ne nous ait pas plus touchés. Nous avons une clientèle fidèle et les gens ont un attachement au lieu dans lequel ils ont l’habitude de venir.
« Moi, je voudrais un peu sortir des sentiers battus,
ne pas repasser éternellement les mêmes œuvres. »
Quel est votre public ?
Notre public est constitué d’au moins 40 % de fidèles, des gens qui aiment le classique mais qui sont aussi curieux, si bien que lorsque je passe des films inédits, ça les intéresse. Dans l’ensemble, les films que nous programmons, il faut qu’ils soient intelligents parce que nous avons un public intelligent. Nous avons de moins en moins de jeunes, notamment depuis le transfert de l’École polytechnique. Mais même si elle est beaucoup moins importante, la proportion d’étudiants est encore de 50 %.
Au Champo, qui s’occupe de la programmation ?
La programmation, c’est mon domaine. Pour me faire une impression, j’essaie de voir les films au préalable sur DVD. Je connais tellement bien le public du Champo que je pressens un peu si un film va marcher ou pas. Mais quelquefois, je passe outre parce que le film m’a tellement plus que je me dis : il faut qu’ils le voient !
Les gens ont des goûts assez classiques, c’est évident ! Moi, je voudrais un peu sortir des sentiers battus, ne pas repasser éternellement les mêmes œuvres. Quand on me propose des films qui ne sont pas faciles, je suis toujours tentée de les prendre, s’ils sont bons bien sûr, pour ne pas rester dans le film de patrimoine archi-classique. Évidemment, ça marche ou ça ne marche pas !
« Les films, il faut leur laisser le temps de vivre ! »
Une telle démarche implique forcément un travail pédagogique. Comment vous y prenez-vous ?
Nous faisons un travail de lancement. Pour essayer de défendre le film, nous organisons des avant-premières et nous invitons des intervenants. Mais l’essentiel de notre soutien vient du fait que nous nous engageons à garder un film trois semaines à l’affiche. Et même plus en cas de succès, avec une séance tous les jours à midi pendant une à trois semaines par exemple.
N’est ce pas un choix difficile à assumer quand un film ne trouve pas son public ?
Tant pis ! Dernièrement, nous avons passé un film qui a très bien marché la première semaine et qui a fait 50 % la seconde. La troisième, je savais que ça allait être désastreux, et c’est ce qui s’est passé. Mais ça, c’est tout le temps ! Et c’est normal ! L’idéal, ça serait de les garder deux semaines, mais on ne peut pas faire ça à un film ! Il faut quand même lui laisser sa chance. Quand je vois des films qui disparaissent au bout de quinze jours, je trouve que c’est un massacre. Les films, il faut leur laisser le temps de vivre. Moi, j’aime beaucoup les films, c’est très rare que je passe un film que je n’aime pas. Et quand il part, j’ai toujours un petit regret. Quel dommage que les gens ne l’aient pas plus compris, apprécié…
Quels rapports entretenez-vous avec les distributeurs ?
Ils sont plutôt bons, pour deux raisons. D’abord, parce qu’au bout de trente ans, une relation de confiance mutuelle s’est établie. Ils savent que j’aime les films, que je les garderai bien trois semaines, que j’essaierai de les prolonger. Du coup, nous avons une approche très différente, pas seulement commerciale. Et ensuite, parce qu’ils sont à peu près sûrs qu’au Champo, ça marchera. Du moins, un peu.
Quelles sont vos exigences à leur égard ?
Je demande à avoir le film en exclusivité, ou si ce n’est pas possible, à ce qu’il soit diffusé dans une salle dont nous sommes éloignés, par exemple dans le XVIe ou le XVIIe arrondissement. Parce que c’est un risque, c’est une projection qui peut ne pas marcher du tout. Je leur demande aussi d’attendre pour sortir le DVD.
« Le DVD ne rapporte plus du tout ce qu’il rapportait il y a dix ans.
Le marché a beaucoup chuté. »
Est-ce qu’il arrive qu’un distributeur vous consulte pour savoir ce que vous pensez d’un film qu’il envisage de ressortir ?
Il arrive très fréquemment que je reçoive un DVD d’un distributeur qui me demande si je crois qu’il peut le ressortir avec des chances de succès. Trois ou quatre petits distributeurs – Tamasa ou Solaris, par exemple – veulent avoir un avis. Et c’est logique puisqu’ils souhaitent le sortir chez nous. Il faut qu’ils sachent si je le prendrai ou pas.
Le passage en salle est donc une partie importante de leur équation économique.
C’est l’essentiel ! Le DVD ne rapporte plus du tout ce qu’il rapportait il y a dix ans. Le marché a beaucoup chuté. Et puis, il faut avoir les moyens de l’éditer, il y a des petits distributeurs qui ne peuvent pas se le permettre.
Vous devez donc être particulièrement sollicitée.
J’en suis au point que les distributeurs préfèrent attendre une date disponible plutôt que de renoncer à être programmés par le Champo. C’est comme ça que je me retrouve avec un calendrier très chargé. À ma grande désolation, nous sommes presque entièrement programmés jusqu’au mois de décembre inclus. À chaque fois, je me promets de ne pas céder, et à chaque fois je me laisse avoir. C’est idiot, parce que j’ai parfois des occasions qui se présentent et je n’ai plus de place.
« Beaucoup de films ne sont plus disponibles,
ni en 35 mm, ni en numérique. »
Comment avez-vous vécu le passage au numérique ?
Nous avons rencontré deux problèmes. D’abord, nous avons été obligés de faire de gros travaux. Le Champo était célèbre pour sa projection par périscope et là, ce n’était plus possible. Il nous a fallu installer une petite cabine à un endroit un peu problématique. Dans la salle du bas, nous avons quand même gardé une vraie cabine avec un projecteur 35 mm.
Deuxième problème, du fait du numérique, les ayants droit et les distributeurs n’ont plus du tout envie de renouveler les copies en 35 mm. Mais comme numériser un film coûte cher, il y a énormément d’œuvres de répertoire qui ne sont pas encore disponibles. Or nous, c’est ce que nous sommes, une salle de répertoire. Donc, beaucoup de films que je cherche désespérément, je ne les trouve qu’en 35 mm, mais dans quel état !
Dans votre programmation, quelle est la part de films sur pellicule et de films en numérique ?
La part du 35 mm est encore assez conséquente, de l’ordre de 40 %. Mais je me répète, le vrai problème pour nous, qui ne fait que croître et embellir, c’est l’état des copies. Je me refuse à projeter des films trop abîmés ou avec des dominantes rouges.
Je trouve l’image numérique lisse et plate.
Entre le 35 mm et le numérique, où va votre préférence ?
Je ne comprends pas comment les gens qui aiment vraiment le cinéma osent soutenir que c’est la même chose. Je me suis presque disputée avec des gens de la profession à ce sujet. Franchement, c’est très différent. Je trouve que l’image numérique est lisse et plate. C’est fâcheusement la même que celle de la télévision.
La perfection serait plutôt source de froideur ou de dépersonnalisation, alors que le film apporterait une présence supplémentaire. Une âme, peut-être…
C’est un peu ça. La pellicule offre un grain qui n’existe plus dans le numérique. Même s’il présente quelques rares petites imperfections, le 35 mm, c’est autre chose.
Comment voyez-vous l’avenir du cinéma en salle ?
Je suis plutôt optimiste, malgré tout. Quand je vois le plaisir qu’ont les gens à rentrer dans la salle, à s’installer, je pense que c’est quelque chose qu’ils ne trouvent pas chez eux. Quand j’entends la salle rire, ça me fait très plaisir. Ou bien, quand je vois les gens sortir avec les yeux rouges. Tout le monde a communié dans le même chagrin, la même angoisse. Au fond, le cinéma, c’est une communion. ❑
MAI 68 VU DU CHAMPO
Situé en plein cœur du Quartier latin, à deux pas de la Sorbonne, le Champo a vu défiler devant ses portes beaucoup de manifestants, de gardes mobiles, de pavés et de slogans. Les « événements », comme on les qualifiait à l’époque, n’ont pas épargné les salles de cinéma. Souvenirs…
« La nuit principale, à 4 ou 5 heures du matin, nous recevons un appel téléphonique d’un de nos clients qui habite juste en face du cinéma. Il nous annonce qu’il y a une insurrection très violente et que des gens ont pénétré dans le Champo. Les portes de secours qui donnent sur la rue Champollion ont été retirées et notre directeur les a retrouvées dans les barricades du boulevard Saint-Michel. Dans la salle, les manifestants avaient improvisé une sorte de pique-nique, avec un feu de camp ! Mais ils n’ont pas touché aux cabines.
Plus haut se trouvait le Saint-Michel, un cinéma avec une sorte de petite avancée vitrée qui donnait sur le boulevard, avancée où se trouvaient les appareils de projection. Le cinéma a été saccagé de fond en comble et les appareils ont été jetés sur le sol. Le cinéma n’a jamais rouvert. »