Le cinéma de patrimoine, une affaire qui marche
Le cinéma français a de la mémoire. Aucun autre pays ne dispose d’un réseau aussi dense de salles spécialisées dans la reprise d’œuvres classiques. Enquête sur les films de patrimoine, un secteur en plein essor
Patrimoine et Répertoire… L’expression est un peu amidonnée. Elle sonne comme une appellation contrôlée, type qualité française. Il s’agit pourtant d’un système qu’on pourrait qualifier d’innovant s’il n’avait pas été officialisé en 1959 sous l’égide d’André Malraux.
Tout repose sur un édifice réglementaire destiné à promouvoir les différentes familles du cinéma, codifié par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). C’est cet organisme qui « labellise » les salles et les films, via des commissions d’évaluation pilotées par l’Association française des cinémas d’art et d’essai (AFCAE).
Films de patrimoine : un succès public
Les cinémas souhaitant rejoindre le réseau d’art et d’essai doivent déposer un dossier auprès du CNC pour obtenir un ou plusieurs des trois labels officiels :
• Recherche et Découverte ;
• Jeune Public ;
• Patrimoine et Répertoire.
Pour prétendre à ce dernier label, il faut s’engager à diffuser chaque année un quota de films Art et Essai sortis pour la première fois en salles il y a plus de vingt ans et n’ayant pas bénéficié d’une diffusion régulière au cours des dix dernières années. En retour, les exploitants peuvent prétendre à des aides et à des subventions. Le mécanisme est similaire pour les distributeurs qui « exhument » des films anciens pour leur donner une nouvelle chance sur les écrans.
Les vertus d’un tel dispositif sont évidentes. En multipliant le nombre de cinémas (332 en 2015 contre 86 en 2006) et de films (3 087 en 2015), le CNC a créé un marché : 1 165 000 séances en 2015 contre 316 000 en 2006. Et le public a suivi, avec plus de 25 millions d’entrées en 2015 (contre 7,7 millions en 2006) dans les établissements labellisés Patrimoine et Répertoire !
À titre d’anecdote, signalons que 1997 a été une année record avec la ressortie des trois premiers épisodes de la saga Star wars (source : CNC).
DEUXIÈME VOLET DE L’ENQUÊTE : MARC OLRY, UN DISTRIBUTEUR QUI CONNAÎT SES CLASSIQUES (cliquer)
La société Lost Films est spécialisée dans le cinéma de patrimoine. Cliquer pour découvrir le travail de Marc Olry. Seul à la tête de sa société, il défend les films perdus et maudits.
TROISIÈME VOLET DE L'ENQUÊTE : LE CHAMPO, LE TEMPLE PARISIEN DU FILM DE PATRIMOINE (cliquer)
Le cinéma Le Champo, qui fêtera ses 80 ans en 2018, est un des hauts-lieux du cinéma de patrimoine. Pour en savoir plus sur cette véritable institution du Quartier latin, cliquer pour lire l’interview de sa directrice, Christiane Renavand.
La Corse fait cavalier seul
Trois métropoles se distinguent au niveau de la fréquentation, battant des records d’entrées pour la diffusion de films de plus de trente ans : Nantes, Paris et Rennes. La dynamique du secteur profite néanmoins à tout le territoire, notamment aux communes rurales et aux unités urbaines de moins de 20 000 habitants qui accueillaient en 2015 plus de la moitié (55,6 %) des cinémas classés Art et Essai.
Mais des bizarreries persistent, notamment en Corse. L’île, qui affiche des scores impressionnants en termes de fréquentation des salles Art et Essai (65,9 % des entrées et 66,2 % des recettes), ne compte en effet aucun établissement labellisé Patrimoine et Répertoire (voir carte ci-contre).
Marc Olry (Lost Films) : « Très peu de salles sont en mesure de projeter des films en 35 mm. Pour un distributeur, c’est un investissement pour rien, il ne pourra pas le diffuser. »
L’économie du film de patrimoine repose sur une équation économique complexe, qui associe les entrées en salle, les ventes de DVD/Blu-Ray et les droits télé. Les mutations technologiques rapides qui bouleversent les modes de diffusion des œuvres commencent à mettre à mal ce modèle vertueux.
Des ombres au tableau
Le passage à la projection numérique dans les salles a eu des effets inattendus, notamment sur la circulation des films. « Avant, on tirait des copies 35 mm d’après les internégatifs qui étaient déposés dans des laboratoires, explique Marc Olry, dirigeant de Lost Films. Aujourd’hui, la condition sine qua non, c’est que ces films soient restaurés et numérisés. Et c’est là que le bât blesse ! Une major américaine ne se lancera dans cette opération que pour une diffusion télé ou une édition en DVD, pas pour un passage en salle. Aujourd’hui, quand je peux sortir un film classique américain en France, c’est justement parce qu’il vient d’être édité en DVD ou en Blu-ray aux États-Unis. »
Les rares cinémas qui continuent à projeter des films dans leurs salles sont confrontés au même problème. « Il y a pas mal d’œuvres pour lesquelles je n’arrive plus à trouver de copies en bon état, notamment tout le cinéma de René Clair, que j’adore », se désole Christiane Renavand, directrice de la salle parisienne Le Champo.
Des revenus en baisse
Le cinéma de patrimoine donne parfois l’impression d’avoir du mal à digérer son succès, notamment côté distribution avec l’augmentation du nombre d’acteurs de la filière. « Presque tous les ans, souligne Marc Olry, un nouveau distributeur apparaît. Il y a donc de plus en plus de films sur le marché, qui ont de plus en plus de difficultés à accéder aux salles. Conséquence : les œuvres restent moins longtemps à l’affiche. » D’autant que la recette moyenne par entrée est moins élevée dans les salles Art et Essai (5,63 €) que dans le réseau traditionnel (6,51 €).
Dernier point d’inquiétude sur le front des revenus tirés de l’exploitation des films de patrimoine, la baisse constante du marché de la vidéo physique. En 2016, le chiffre d’affaires des ventes a diminué de 15,8 % (- 8,1 % en volume) : – 16,8 % pour les DVD et – 12,7 % pour les Blu-ray. Les données du premier trimestre 2017 confirment et amplifient ce recul avec une nouvelle baisse globale de 16,7 %.
Fort heureusement, les classiques bénéficient toujours d’un écosystème qui les protège de la violence du marché. « La durée de vie des films de patrimoine n’obéit pas aux règles habituelles, se réjouit Marc Olry. Autant l’existence des films nouveaux, ou “frais”, se joue sur les premières semaines, autant les films de patrimoine peuvent exister sur une année entière, même si c’est à un niveau modeste avec des salles plus petites et des séances moins nombreuses. »
DEUXIÈME VOLET DE L’ENQUÊTE : MARC OLRY, UN DISTRIBUTEUR QUI CONNAÎT SES CLASSIQUES (cliquer)
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