Scène de la vie quotidienne

L’aventure du jour : destination La Seine

C’est une dame d’un âge bien avancé. Ses cheveux gris crépus, tenus par un bandeau, se dressent en masse compacte sur sa tête. Sa peau est marron clair, ses yeux grands ouverts

La Dame : scène de la vie quotidienne

Crédit photo : Roger Gay.

– « Vous êtes du quartier ? », me demande La Dame, alors que je traverse un premier tronçon du grand carrefour de la porte de Saint-Cloud.

– « Non », je réponds, mais inquiète que ma réponse apparaisse comme une méfiance vis-à-vis d’une personne qu’on pourrait juger importune, je m’empresse d’enchaîner : « Vous cherchez quoi ? »

– « La Seine », me répond-elle.

– « Tout droit ! » Joignant le geste à la parole, je lui désigne l’avenue qui mène vers Boulogne.

– « Merci beaucoup. » M’ayant exagérément remerciée, elle file dans la direction indiquée.

Zut !

Zut, elle va pénétrer dans Boulogne, pensé-je, et accélérant le pas, je la rattrape pour lui signaler le bâtiment rouge du stade de Coubertin qu’elle doit longer vers la gauche afin de rejoindre la Seine. Après une autre salve de remerciements chaleureux, elle repart d’un bon pas sur le chemin que je lui ai tracé.

De mon côté, je progresse dans la même direction, mais en connaissance des lieux, je traverse hors des clous et coupe une rue en diagonale, ce qui me fait gagner du temps. Je longe le stade de Coubertin et en arrivant devant le passage piéton de l’avenue Félix-d’Hérelle : La Dame !

« Voilà, c’est au bout de la rue maintenant ! » Me sentant en charge de son trajet, je lui désigne les quais de la Seine au bout de l’avenue Félix-d’Hérelle qui se prolonge en avenue Le-Jour-se-Lève.

C’est bizarre de demander la Seine et non une adresse.
Que va-t-elle faire dans ou sur la Seine ?



Décidant de gagner un peu d’autonomie, car il se trouve que j’allais exactement dans sa direction, je décide de bifurquer par un petit jardin. Trop de responsabilités pour cette courte matinée !

La nature étant propice à la réflexion, je pense à cette dame et m’interroge sur sa hâte de trouver la Seine. Intentions suicidaires ? C’est bizarre de demander la Seine et non une adresse. Que va-t-elle faire dans ou sur la Seine ?

Le Jour se lève

Sortant du petit jardin, je rejoins une rue perpendiculaire à l’avenue Le-Jour-se-Lève, et mon esprit est tout entier occupé par La Dame. Je presse le pas, habitée par un sentiment mitigé de vouloir la revoir et craindre les ennuis potentiels qui pourraient aller avec.

Arrivée avenue Le-Jour-se-Lève, je regarde de tous côtés et là dans un buisson longeant la route et bordant un mur abritant des cours de tennis : Ma Dame accroupie ! En train de satisfaire un besoin naturel ! Je détourne le regard, gênée.

Est-il possible de céder à ce genre d’envie quand on va se suicider ? Cela doit être le cadet des soucis d’une désespérée, me dis-je. Et rassurée en partie je laisse Ma Dame accroupie dans son buisson, vivre sa vie à sa guise.

Plusieurs fois dans la journée, j’y repensai.

 

Réalisatrice audio, Françoise Geslin apprivoise les sons et les mots. Découvrez sa poésie sur son blog OHMAMAN.